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ÉDITO

 

 

 

      Pour la 4e année consécutive, Ciné Campus vous propose un cycle cinéma dont la colonne vertébrale, cette fois, sera le thème du CORPS.

 

Les 40 étudiants du TD Ciné Campus (Licence 3 Cinéma) ont choisi ce sujet et l’ont démembré pour vous offrir 8 soirées uniques axées sur 8 organes et parties du corps revus et sublimés par 8 films internationaux croisant les regards de décennies en décennies.

Nous vous invitons donc à découvrir le dédale de ce corps métaphoriquement cinématographié en commençant par effleurer sa peau avec le film documentaire Mur murs d’Agnès Varda (1980). Plongez ensuite au cÅ“ur de la thématique avecTropical Malady (2004) du plus célèbre des réalisateurs thaïlandais Apichatpong Weerasethakul avant que le dérangeantJohnny s’en va-t-en guerre du non moins dérangeant Dalton Trumbo (1971) ne vous en mette plein les yeux.  Et s’il ne tient qu’à un cheveu que vous ne cédiez aux charmes des sirènes libanaises de Nadine Labaki dans Caramel (2007), méfiez vous en revanche du sexe faible dans le sulfureux film d’animation japonais Midori de Hiroshi Harada (1992). N’oublions pas l’Italie des années 1960 que Pietro Germi nous offre dans le tourbillonnant bouche à oreille de Signore e Signori (1966), alors que Leos Carax, à l’inverse, fera couler dans les veines du cinéma français des années 1980 son Mauvais Sang (1986).

Enfin, fidèles à la tradition de fin d’année de Ciné Campus, nous vous proposerons une clôture de cycle en forme d’apothéose avec le très incarné Dans la peau de John Malkovich de Spike Jonze (1999).

 

Nous vous espérons nombreux pour ce voyage au bout du corps !

 

Delphine Robic-Diaz

Maître de Conférences en Etudes cinématographiques

Université Montpellier 3

 

 

Séance 1: PEAU DE PEINTURE

Film : Mur Murs, Agnès Varda, France, 1981, 85 mn

 

Equipe organisatrice : Amandine Derdoukh, Marine Belmonte, Clara Marlio, Christophe Petit, Gwenaël Porte

Podcast : Présentation du projet Ciné Campus et du film Mur Murs par Clara Marlio et Gwenaël Porte

Article par la gazette Utopia.

 

Lorsqu'en 1980, Agnès Varda réalise Mur Murs, elle propose une promenade filmique parmi les murals de Los Angeles. Ainsi, tout au long du film la réalisatrice nous fait voyager à travers les rues de la ville. On y découvre ses ghettos, ses commerces et ses habitants. Elle ne se contente pas de rester dans un seul quartier mais tente avec sa caméra d'explorer, de diversifier différents aspects de la ville en réalisant une cartographie imaginaire de Los Angeles réglée et unifiée par le traitement du son. En effet, en voix-off, Varda se fait le guide de la promenade et construit un itinéraire-cinéma. Cet itinéraire est alors unifié par l'univers sonore du film constitué de chuchotements, constants, en off et de l'utilisation fréquente de chansons qui produisent l'impression que la balade qui se déploie dans un espace-temps précis (celui du film, du cinéma).

   L'utilisation récurrente de la voix-off propose une lecture subjective du film. Comme si nous étions à la place du regard de Varda, à sa place, dans sa peau, et expérimentions ces murals comme elle les expérimente. Son regard est, de surcroît, mis en lumière par les éléments fictionnels qu’elle insère dans le documentaire : La visiteuse interprétée par Juliet Berto, qui est mise en scène et qui joue le rôle de intervieweuse, mais aussi le traitement de l'espace où l'utilisation d'angles frontaux propose une organisation si particulière qu'elle trahit intrinsèquement le regard, absolument subjectif de la réalisatrice. Le film est, en fait, une rencontre d'artiste, une sorte de mise en abyme où l'art est filmé par l'art. La fragilité et l’aspect éphémère des ces fresque est sauvé grâce au témoignage d'Agnès Varda mais elles n'existent alors qu'à travers le prisme de ses sensations et de sa subjectivité qu'elle rend visible grâce à des dispositifs proprement cinématographiques

   Regardés par Varda, les murs se transforment en écrans. Souvent montrés en plans rapprochés, les murs s’humanisent. La cinéaste arrive à insuffler du mouvement dans les fresques au moyen d’une mise en scène efficace des protagonistes : des trompes l’œil qui soudain s'animent, des hommes qui semblent vouloir sortir, déchirer les murs, la sérénité d'une baleine accompagné d'un ballet nautique. Par un jeu de métaphores et de confrontations, les murs deviennent la peau de la ville, et les murals ses tatouages, ses cicatrices. Ils sont les écrans-témoins du temps qui passe, de l’évolution de la société américaine, de son héritage cinématographique, culturel et social et sur eux se déploie le temps, l'art.

 

Lundi 18 novembre 2013 à 20h30

 

Synopsis

 

Au gré d'une promenade poétique, une française découvre les peintures murales de Los Angeles. Elle examine au moyen de sa caméra les origines, et les enjeux de ces « muraux ». Sa ballade la transporte dans un monde invisible dont les murs révèlent la présence. Des minorités chicanos aux artistes de rues, tous peignent sur les murs pour s'y raconter, et dévoiler ce qui est, a été, et sera la Cité des Anges.

 

Pourquoi ce film ? 

 

Murs Murs une peau humaine ? Non une peau cinématographique ! A travers ce documentaire la peau s'exprime par les murs de Los Angeles. La peau murale comme frontière, outil de mémoire et quête d'identité. C'est à travers « los murales Â» et les tatouages que les immigrés latinos-américains font re-vivre leur folklore dans leur nouvelle vie, se font une place dans la société et c'est Varda, tout en poésie, qui vient immortaliser leurs peintures par sa pellicule 16 mm. Mur Murs se regarde comme une mise en abîme picturale et cinématographique. 

 

En présence des grapheurs Al et Salamech.

 

Al, Etes-vous d'accord avec Agnès Varda lorsqu'elle dit "Tout ce que l'on décore pour exprimer ses sentiments est nommé mural." ?

 

Il me semble que ce ne soit pas un choix d'Agnès Varda, mais que les "Anges" appellent ainsi les murs, les tatouages, ainsi que les voitures qu'ils "customisent". Pour ma part, je fais tout de même une différenciation entre mon travail sur les murs, destiné à créer un échange avec le public, tandis que je vois le tatouage comme quelque chose de plus personnel, intime... Mais oui, nous pouvons comparer l'homme à la ville, et sa peau aux murs, en exprimant des faits historiques, personnels, ou même anecdotiques, afin de reprendre possession de ce "corps", en le transformant en notre image intérieure.

 

Salamech, à la fin du film, on apprend que des murals vont être détruits. Comment créer quand on sait que c'est forcément voué à disparaître?

 

La création et la destruction sont des mécanismes humains universels, même quand il s'agit d'Art. Le plus important c'est que les créations aient existé. En effet, les raisons et la nécessité de faire ces peintures sont le moteur d'une fédération sociale et implique auteurs et spectateurs dans leurs problématiques communes. Puis, vient la réalisation qui est une performance énorme au vu des outils utilisés et devient un défi à relever pour porter un message de la plus belle manière possible. Fini, le mural transmet son message mais il est voué à disparaître avec l'évolution de la ville. Son souvenir restera immortel.

 

- Propos recueillis par Amandine Derdoukh, Marine Belmonte, Clara Marlio, Christophe Petit et Gwenaël Porte - 

 

 

Séance 2 : À COEURS PERDUS

Film : Tropical Malady, Apichatpong Weerasethakul, Thaïlande, 2004, 120mn

 

Equipe organisatrice : Lucas Charrier, Chloé Cayéré, Charlène Palaffre, Laura Perrachon, Claire Richon

Bande annonce.

Article de la gazette Utopia.

Podcast : Présentation de Tropical Malady.

 

Tropical Malady est un film qui mélange les influences du cinéma classique à celles du cinéma expérimental et n’aura de cesse de travailler la même thématique du cÅ“ur, celui des amoureux, celui de la forêt.

   La première partie du film est réaliste, son esthétique quasi-documentaire nous offre un regard sur la culture et la société thaïlandaises, soulignée par des musiques extra-diégétiques populaires et des dialogues tirés du quotidien. Weerasethakul nous montre les rapports inégaux entre sociabilisation de la ville et campagne retirée.    Contrairement à la seconde partie présentant une nuit artificielle et presque magique, la lumière est ici naturelle. Le cinéaste nous offre de plus, beaucoup de plans en vision subjective, qui appuient le sentiment de réalisme déjà présent, avec notamment les plans de nuit de la ville qui nous plongent au cÅ“ur de la vie quotidienne : nightmarket, soirées karaoké et restaurants en bord de route. Il intègre également des scènes directement transposées de sa vie à l'écran comme celle de la grotte, et donne alors parfois au film un caractère autobiographique.

   Du réel, on plonge dans une deuxième partie de l'ordre du fantastique, assimilée aux légendes de Noi Ithanon, comme le note Weerasethakul. Celui-ci met en image des illustrations chamaniques et animistes qui renvoient aux peintures que l'on trouve dans les temples bouddhistes. Le travail de la lumière relève du conte mystique et participe à son atmosphère magique : l'éclairage au néon, cher au réalisateur, la lumière surnaturelle de l'arbre aux lucioles qui brille et le spectre de la vache morte qui se lève. On peut aussi apercevoir des cercles de lumière à l'écran, métaphores du cycle temporel ininterrompu. La dominance de couleurs froides (bleu et vert) accentue cette ambiance poétique et onirique. La bande-son, sans dialogues humains, nous fait pourtant entendre un langage, celui de la forêt et de ses habitants.

   L'histoire d'amour que nous conte le cinéaste nous est rapportée par la dualité entre Tong et Keng, entre la chair et l'esprit. On assiste par exemple, en plan fixe, à un échange de baiser, sensuel pour Keng et animal pour Tong, qui va marquer un bouleversement dans le récit. Ainsi dans la seconde partie, c'est le soldat qui a la maladie tropicale. Il ressent un étouffement causé par l'amour. Ceci est souligné par l'absence de profondeur de champ dans la jungle. Sa douleur est si forte qu'il va donner vie au tigre. C'est la matérialisation du souvenir de Tong. La référence mythologique à la gorgone Méduse est d'ailleurs marquante, surtout par l'utilisation du champ contre-champ en plans serrés sur le regard l'animal qui dévore les souvenirs et l’âme de l'homme. La fusion des deux symbolise la présence de l'autre en soi.

Weerasethakul propose donc par un traitement binaire une « jungle romance », au coeur de la culture thaïlandaise qui s’intéresse autant au quotidien, à la trivialité, qu’à la spiritualité du pays et à son Histoire.

 

Lundi 2 décembre 2013 à 20h30

 

Synopsis

 

Tropical Malady raconte l'histoire d'amour de Keng et Tong, de leurs promenades, de leurs sorties en ville et des soirées en famille, puis de la soudaine disparition de Tong, qui survient après que des vaches de la région ont été égorgées par un animal sauvage. Nous plongeons alors avec Keng dans la jungle tropicale à la poursuite d'une bête mystérieuse et d'un amour perdu. Cette aventure éprouvante et effrayante, autant spirituellement que physiquement, mènera Keng au coeur des légendes thaïlandaises, au coeur de la forêt, là où esprits et animaux cohabitent.

 

Pourquoi ce film ?

 

Le réalisateur thaïlandais d’Oncle Boonmee (Palme d'or 2010) livre avec Tropical Maladyun film romantique et fantastique, une immersion sensitive hors du commun au cours de laquelle sons et images s’unissent dans un geste de cinéma radical et vertigineux. Découpé en deux parties, le film met en scène l’errance des corps et des coeurs avec réalisme et poésie, nous charme dans un premier temps, pour mieux nous perdre dans une troublante chasse à l’homme (animal) dans un second temps. Une expérience de cinéma à tenter, ne serait-ce que pour s’imprégner d’une culture, d’une ambiance et d’un style qui ne laisseront personne indifférent.

 

En présence de Christian Carrié, géographe, spécialiste de la Thaïlande.

 

Tropical Malady est-il en rapport avec ce que vous connaissez du cinéma thaïlandais ?

 

Je ne vais pas très souvent au cinéma en Thaïlande parce que je ne connais pas la langue, mais j'ai pu voir que les films étaient souvent fantastiques, historiques, ou influencés par les arts martiaux ou la boxe thaï. C'est donc très différent de l'univers de Tropical Malady, qui est d'ailleurs très peu connu là-bas, et dont le réalisateur est plus célèbre pour ses créations artistiques que pour son cinéma. Moi, j'avais entendu parler de lui car il a obtenu la Palme d'Or à Cannes.

 

Quel est le statut de l'artiste dans la société thaïlandaise?

 

Il y a beaucoup de censure, il est interdit par exemple de faire allusion à la royauté. Il y a une certaine éthique à adopter, les idées restent très conservatrices.

La reconnaissance sociale de l'artiste est assez importante, on voit beaucoup de manifestations internationales sur l'art à Bangkok alors que ce n'est pas du tout leur tasse de thé, ils sont beaucoup plus friands de représentations religieuses, ou encore de street art.

 

Que pensez-vous du traitement de l'homosexualité dans le film?

 

Weerasethakul est lui-même homosexuel et le film traite précisément de cette partie de sa vie. En Thaïlande, l'homosexualité est bien plus acceptée à la ville qu'à la campagne, ce que montre le film. La relation entre Keng et Tong témoigne d'une certaine pudeur dans l'expression des sentiments. Tout est implicite et suggéré par la beauté androgyne des acteurs.

 

- Propos recueillis par Lucas Charrier, Chloé Cayéré, Charlène Palaffre, Laura Perrachon, Claire Richon -

 

 

Séance 3 : NOTRE BOUCHE RIT

Film : Signore e Signori, Pietro Germi, Italie, 1966, 115mn

 

Equipe organisatrice : Tony Anghelou, Marine Labaud, Noémie Di Franco, Léonie Lesueur, Camille Seilles

Bande annonce.

 

   Signore e signori est une comédie italienne de Pietro Germi réalisée en 1966 et récompensée par la palme d'Or la même année au Festival de Cannes. Ce film à sketches, empreint de l'héritage néo réaliste, met en scène un groupe de bourgeois vénétiens des années 60. On y retrouve ainsi des personnages types se rapprochant « des masques Â» de la comedia del arte.

   Pietro Germi s’est attaché à trouver chez ses acteurs des « gueules », des « tronches » qui reflètent à merveille leurs caractères bien trempés. On peut retrouver le médecin moqueur Giacinto, l’ingénue Noémi, le taciturne Osvaldo, le fourbe Gasparini, la pieuse Ippolita, la vamp Giorgia, l’innocente Milena. Les costumes des protagonistes, noir ou blanc, sont des points d’accroche qui vont attirer notre regard. Les décors sont souvent remplis de personnages et les mouvements de caméras ainsi que les jeux de lumière contrastés sont là pour fixer l’attention sur le personnage important de la scène. Les protagonistes ont des mimiques et des attitudes propres à leur personnage. Ces incarnations prennent parfois un air caricatural. La distribution des rôles est si finement maîtrisée, qu’elle donne à tous les personnages une force de réalisme. Les personnages ne sont ni entièrement bons, ni entièrement mauvais mais ils restent tous hypocrites. C’est par ses « gueules » que Germi dresse son pamphlet cinglant contre l’hypocrisie christiano-bourgeoise italienne, et soulève les questions : de qui rit-on et surtout de quoi rit-on ?

   Car les personnages utilisent la bouche comme passerelle de médisances, de mensonges, de chants et de rires. Le son et les dialogues permettent au réalisateur de dissocier les personnages principaux des foules, de les montrer tels qu'ils sont et de mettre en avant leurs mauvais côtés. Le flot ininterrompu de paroles, tantôt mélodieux, tantôt étouffant nous absorbe dans l'univers du film, nous intégrant pleinement au récit. La musique, très répétitive et rythmée, intervient souvent pour combler les scènes sans dialogues, peu nombreuses dans le film. Elle sert de transition entre les séquences et se mêle parfois à des bruitages. L’ambiance musicale, les chants et les rires, créent un décalage qui dédramatise les situations.

 

 

Lundi 06 janvier 2014 à 20h30

 

Synopsis

 

Pietro Germi nous fait découvrir sa vision satirique de la bourgeoisie italienne des années 60. Cette petite communauté navigue entre adultères, tromperies et médisances. Tony Gasparini confesse son impuissance à son ami médecin qui s'empresse d’ébruiter le secret. Bisigato, un romantique effacé et oppressé par sa vie conjugale, se lie d'un amour impossible avec une serveuse. Une jeune paysanne se fait offrir des présents par les hommes de la ville en échange de ses bons services...

 

Pourquoi ce film ?

 

Le spectateur est entraîné par un flot de paroles continu qui vient l'immerger au coeur du groupe.

Germi mêle habilement critique et humour pour tourner en dérision le fonctionnement d'un état aux règles souvent absurdes. On se surprend à rire d'une société similaire à la nôtre.

 

En présence de Jean-Claude Mirabella (MCF en Civilisation italienne).

 

En quoi ce film fait écho aux codes du mouvement néo-réaliste italien ?

 

L'héritage néoréaliste est présent dans le mesure où Pietro Germi l'a réalisé pendant cette période, mais le film est plus en lien avec Boccace et son recueil de nouvelles, le Décaméron. On retrouve cette idée dans la structure du film, avec ces trois sketches. Dans le Décaméron, il y a des « beffa Â» (tour que l'on joue à quelqu'un), on en trouve dans le film dès le premier sketch.

 

Ce film est un film à « masques » proche de la Commedia dell'arte. En quoi ces comédiens incarnent-ils des types régionaux ?

 

Dans la Commedia dell'arte, genre théâtral, il y a l'exagération des expressions faciales par le biais de masques, comme ceux d'Arlequin ou Pierrot. Un travail sur les corps et visages est présent. Dans le film, des figures déformées et des tronches à coucher dehors renvoient aux masques. Cela peut s'expliquer par la recherche dans la rue de comédiens régionaux non professionnels (pratique néo-réaliste).

 

Les personnages et les mœurs de ce film sont-ils représentatifs de la bourgeoisie vénète des années 60 ?

 

A cette époque la Vénétie est une région catholique qui vote en masse pour la démocratie chrétienne. C'est un monde fait d'hypocrisie. Les bourgeois se regroupent et commentent sur la place, se moquent de leurs congénères. La classe populaire est représentative de la réalité de l'époque, par exemple, le carabinier à l'accent sicilien, montre la migration des italiens du sud vers le nord, due au chômage.

 

- Propos recueillis par Tony Anghelou, Marine Labaud, Noémie Di Franco, Léonie Lesueur, Camille Seilles -

 

 

Séance 4 : PELLICULES

Film : Caramel, Nadine Labaki, Liban, 2007, 95mn

 

Equipe organisatrice : Lucas Barrières, Julie Jouen, Ludmila Kuoi, Anaëlle Raynaud, Océane Théodore

Bande annonce

 

Dès son générique, Caramel plonge le spectateur en pleine rêverie sur le Moyen-Orient. Nadine Labaki a su créer un univers principalement féminin afin de s'interroger sur la condition de la femme libanaise moderne.

   Les costumes comme les cheveux, jouent un rôle primordial dans la construction des personnages féminins. Celles qui assument leur féminité portent des habits près du corps et colorés. Leurs cheveux sont longs et détachés, symbole de leur séduction et de leur élégance naturelle. La vieille voisine est l'illustration de cette évolution psychique révélée par les vêtements et la coiffure. Avant de se rendre à son rendez-vous galant, la caméra filme son reflet dans le miroir en train se s'apprêter puis, comme un écho au plan précédent, on la voit renoncer et se démaquiller pour retourner s'occuper de sa sÅ“ur. Elle change de robe, reprenant ses habits d’intérieur, informe et blanche, gommant toute trace de féminité, acceptant son destin de garde-malade.

   Pourtant elles sont toutes placées dans un décor rappelant les courbes et la douceur caractérisant la femme dans l'imaginaire artistique. L'institut de beauté, lieu privilégié des échanges intimes, par l'utilisation de filtres colorés créant une lumière orangée et chaleureuse, reproduit un univers matriciel. La fenêtre ronde, barrée par des volets mi-clos, présente sur l'affiche officielle du film, est le symbole de la femme dans la plénitude de la maternité. La réalisatrice place ses personnages dans univers représentatif de la femme.

   Le film illustre une quête de l'émancipation des contraintes sociales imposées exclusivement aux femmes. La longue évolution des mÅ“urs est notamment perçue par l'éclairage. Les lumières tamisées de l'institut de beauté plongent le spectateur dans une atmosphère rassurante qui va être brutalement brisée

lors de scènes marquantes et pleines de significations. Quand le cliente avec ses longs cheveux noires veut se faire couper les cheveux, elle est placée sous une lumière blanche, type néon éclairant son visage angoissée. Cette lumière est un écho à la scène de l'hôpital ou l'un des personnages subit une hymenoplastie. La dernière scène du film se passe en extérieur, à la lumière naturelle comme si la vie après tout devait reprendre son cours. Le mariage est lui aussi filmé à la lumière du jour, évoquant non pas une libération totale mais l'acceptation de la situation.

   Caramel est un portrait de la femme dans ce qu'elle a de plus précieux et de plus éphémère, sa beauté. Les cheveux des actrices sont le reflet des personnalités tout autant qu'un statut de la femme dans un processus métonymique. Elles incarnent toutes les passages dans la vie d'une femme : le doute, la maturité, la vieillesse. Tout ceci étant teinté de bonne humeur mais aussi de résignation. Nadine Labaki en se mettant en scène elle-même, donne une portée à la fois intimiste et universelle à son Å“uvre. Elle nous offre son image, comme reflet de ses questionnements personnels quant à la situation de la femme au Liban.

 

 

Lundi 20 janvier 2014 à 20h30

 

Synopsis

 

Dans un petit quartier de Beyrouth, un institut de beauté voit se rassembler cinq femmes aux caractères aussi atypiques que leurs histoires. Ce lieu chaleureux, carrefour de fantasmes et d'ambitions, devient leur refuge pour exprimer leur désir d'émancipation. Ici, les amitiés se nouent et se dénouent, au rythmes des discussions qui frisent parfois les sujets tabous. Ces femmes se dévoilent avec simplicité et bonne humeur, et nous livrent ainsi une palette de personnalités, traçant le portrait de la femme libanaise moderne.

 

Pourquoi ce film ? 

 

Premier film de Nadine Labaki, félicité au Festival de Cannes 2007, Caramel explore la psyché commune aux femmes tout en s'inscrivant dans le contexte révélateur du Liban. Les joies et les turpitudes de ses personnages sont universels : peur de la vieillesse, quête de l'amour, désir d'émancipation (que ce soit du carcan sociologique ou familial). Caramel fait un constat doux et amer de ces ambitions. Toutefois, à travers son ambiance chaleureuse et ses couleurs rassurantes, il ré-affirme la beauté comme mode d'expression privilégié de la féminité, un moyen de revendication et de lutte. La métamorphose des corps souligne agréablement l'affirmation d'une volonté comme le désir inhérent de se sentir exister.

 

En présence Vincenzo Susca, sociologue.

 

A la fin du film, une cliente se fait couper les cheveux, est-ce un acte qui signifie forcément l’émancipation de la femme ?

 

Le choix de se couper les cheveux ou pas, peut être un signe d’émancipation. Tout est affaire de codes. A la fin du Moyen-Age en France, les femmes se rasaient le haut du crâne et cela était admis socialement. Il n’était pas question d’émancipation de la femme, mais plutôt l’inverse. Cela revêt donc d’autres significations car les coupes de cheveux et l’habillement sont construits socialement et varient selon les époques.

 

La femme libanaise, orientale, n’est-elle pas plus contrainte socialement que la femme occidentale?

 

Dans la plupart des sociétés, on ne peut pas dire tout ce que l’on veut. Il y a des normes, des tabous, même s’ils sont formels ou informels. Ce n’est pas une différence de nature mais plutôt de degré. En France jusque dans les années 50, une femme qui n’avait pas de chapeau, était considérée comme une prostituée. Beaucoup de gens essayent d’adopter une position essentialiste où la femme est très bien traitée en Europe et, très mal dans les sociétés orientales. Mais, n’oublions pas qu’il y a toujours des inégalités hommes/femmes qui sont assez conséquentes dans les pays occidentaux. 

 

- Propos recueillis par Lucas Barrières, Julie Jouen, Ludmila Kuoi, Anaëlle Raynaud, Océane Théodore -

 

 

Séance 5 : L'ARME À L'ŒIL

Film : Johnny s'en va-t-en guerre, Dalton Trumbo, États-Unis, 1971, 110mn

 

Equipe organisatrice : Remi Cesson, Mathieu Darmedru, Célia Djoudi, Remi Euvrard, Arthur Rohou

Bande annonce.

 

Johnny s’en va-t-en en guerre se donne à voir comme un film introspectif. C’est aussi une Å“uvre empreinte d’onirisme et qui traduit la vision du monde de son auteur.

Dès les premiers plans, le film place le spectateur du point de vue de Johnny.

   Ainsi, le prologue se termine sur le son de l’obus qui blessera le personnage et l’image de son explosion. S’en suit un long plan noir ; métaphore de l’état inconscient du soldat et de la perte de ses sens. Puis un plan subjectif en contre-plongée où trois médecins délibèrent sur l’état du patient. A l’image de cette première séquence, le film jouera de l’introspection notamment en adoptant une chronologie non linéaire qui renvoie au manque de repères temporels de Johnny.

   Si dans les scènes au présent, le recours à la voix-off nous place dans l’intimité du personnage en traduisant ses pensées en temps réel, l’utilisation du noir et blanc symbolise quant à lui l'incapacité de ce dernier à voir ce qui l'entoure. Les cadrages serrés et le peu de liberté de mouvement laissé à la caméra renvoient à l'enfermement et à l'immobilité du jeune soldat. A l'inverse, le choix d’une couleur saturée pour les scènes rêvées accentue l’onirisme et le caractère fantasmé des pensées de Johnny, tandis que les plans larges et le choix d’une caméra plutôt mobile sont le signe d’une liberté retrouvée.

   Plus que des flash-back, ces évasions mentales apparaissent comme fantasmées et sont construites selon la logique du rêve. Dans ses songes, Johnny projette sa condition d’infirme. C'est le cas dans la première scène en couleur où l'image de sa petite amie recouverte d’un drap blanc renvoie à celle du soldat sur son lit d’hôpital. On pense également au tableau qui surplombe le lit de Karen, et qui constituera le décor d’un des rêves de Johnny, ou l’absurdité avec laquelle le personnage passe d’un espace-temps à l’autre par le simple franchissement d’une porte. S’ils sont le reflet du désespoir de Johnny, ces procédés répondent aussi sûrement au non-sens qui caractérise la folie humaine décrite par le film. Ils permettent, en outre, la présence d’images symboliques fortes qui sont autant de critiques de l’Amérique que le cinéaste inclue à sa vision du monde.

   A travers des références assez explicites, le cinéaste se livre donc à une critique de l’Amérique, notamment en attaquant ses grandes institutions. Dans ses rêves, Johnny fait ainsi la rencontre d’un personnage dont les attributs nous renvoient à ceux du Christ. Et c’est un prophète sombre que nous dépeint Trumbo. Incapable de répondre aux attentes du jeune homme et contraint de porter sur ses épaules les âmes meurtries des soldats déchues, il est à l’image d’une religion impuissante face à la folie guerrière. La séquence où la canne à pêche du père coule au fond du fleuve et rejoint des squelettes indiens enfouis sous les eaux, est à l’image de la vision du cinéaste, celle d’une Amérique qui cache ses soldats mutilés comme elle cache certaines pages sombres de son histoire.

 

 Lundi 3 février 2014 à 20h30

 

Synopsis

 

1918, la guerre confisque à Johnny la moitié de son corps. Privé de ses membres, de son visage et de quatre de ses sens, il est rapatrié et pris en charge par une équipe de médecins. Rapidement, le corps médical tranche, il ne s'agit plus ici que d'un morceau de viande inerte. Pourtant, Johnny est parfaitement conscient, bien qu'incapable de communiquer avec le monde extérieur.

Prisonnier d'un corps désormais muet, il ne vit que dans le souvenir nostalgique de sa vie antérieure, jusqu'à ce qu'une infirmière s'intéresse à lui et tente de nouer contact.

 

Pourquoi ce film ?

 

Johnny s’en va-t-en guerre est un sublime pamphlet pacifiste, une Å“uvre éminemment sensuelle, un film déroutant autant qu'émouvant. Seule et unique réalisation de Dalton Trumbo, il vaudra à son auteur d'être inscrit sur la fameuse « liste noire Â» mise en place à Hollywood en plein maccarthysme. Réflexion sur le regard, la souffrance morale et l'emprisonnement corporel, le film de Trumbo est aussi et surtout une Å“uvre universelle et intemporelle qui, par sa pudeur, la justesse de son propos et la force de son réquisitoire, trouve une résonance immense en tout temps et en tout lieu.

 

En présence de Sylvain Bertschy, doctorant en histoire militaire.

 

Le film peut-il avoir valeur de document historique sur la Grande Guerre ?

 

Non, je ne pense pas. Il nous en dit davantage sur le monde du cinéma aux USA au tout début des années 1970 que sur 1914-1918.

 

Qu'en est-il de la mémoire de 1914-1918 en France à l'époque où le film sort ?

 

Dans l'Entre-Deux-Guerre la mémoire du conflit est très forte dans l'espace public. A cette forte présence mémorielle succède une phase de relatif effacement, des années 1950 à 1980. La période est davantage dominée par des enjeux contemporains (Algérie, Mai-68, Seconde Guerre mondiale).

 

Le film évoque la mutilation des soldats, le suicide ou l'euthanasie. Que sait-on de ces questions ? Y-a-t-il des travaux sur ces thèmes précis ?

 

Sur les blessés et malades de guerre il existe des travaux mais ce n’est pas le thème le plus travaillé dans l'historiographie de 1914-1918, beaucoup reste à faire.

Suicide et euthanasie sont deux questions très intéressantes. Dans le cas de la France il n’y a pour l’instant aucune étude et ce pour des raisons assez simples : à partir de quoi travailler ? Quelles archives, quelles sources (surtout dans le cas de pratiques illégales) mobiliser ?

Le film pose la question du droit des blessés, sur laquelle nous avons très peu de travaux. Quels droits conserve un citoyen sous l'uniforme ? A t-il le droit, par exemple, de refuser les soins, de refuser d'être opéré, de disposer librement de son corps ? En France, une vive controverse éclate durant l'été 1916 autour des refus de soins.

 

- Propos recueillis par Remi Cesson, Mathieu Darmedru, Célia Djoudi, Remi Euvrard, Arthur Rohou -

 

 

Séance 6 : CIRCULINGUS

Film : Midori, Hiroshi Harada, Japon, 1992, 56mn

 

Equipe organisatrice : Pierre Blin, Fiona Bellime, Jordan Herranz, Johanna Saget, Flavie Villeneuve

Bande annonce.

 

Midori d'Hiroshi Harada est une animation japonaise de 1992. Elle est adaptée de la Jeune Fille aux camélias, adaptation de Maruo Sherido. Dans les années 50, une jeune orpheline est recueillie par un cirque ambulant peuplés de freaks sadiques. Le thème principal de Midori est sexuellement heurtant, mais est-ce cela son unique propos ?

   L'animation s'ouvre sur des tableaux, fresques aux dessins crus et exutoires : 4 actes où se mêlent une mythologie au caractère fantasmagorique. Par ses inserts de planches originales, de dessins surréalistes et oniriques, Hiroshi Harada nous emprisonne dans une fable érotique et grotesque, chère au folklore nippon. Ce surréalisme intervient grâce au son cyclique et envoutant de J.A Seaker. Une spirale malsaine dont essaye de s'échapper Midori en confondant le rêve de sa propre réalité. Lors d'un de ses cauchemars elle parcourt un étrange couloir bleu et noir, synonyme de passage vers un voyage autant artistique qu'initiatique. Mais l'hyper réalisme acerbe revient sans cesse, le spectateur est finalement embarqué dans ce parcours horrifique. Frontalement, le réalisateur fixe l'image et les dessins en nous montrant une sexualité crue mélangée à l'innocence la plus tendre. Le cinéaste use de ralentis fréquents, quand Midori est projetée violemment au mur ou lorsqu'elle se fait violer par les forains. Les corps se déforment, se tordent et s'explosent. Quand le nain magicien fait son tour aux spectateurs du cirque, c'est nous même qui sont projetés face à ces corps déformés : les yeux sortent de leur orbites et les crânes se superposent et se distordent avec des membres du corps. Un corps à corps sanglant et troublant.

   Finalement la question sexuelle de Midori réside dans sa capacité à abolir les frontières de la virginité de l'Å“il et reposer l'expérience cinématographique sur un sentiment corporel et sensitif au delà d'un simple regard. La violation des règles de représentation s'affilie au cinéma obscène, où « interdits et transgressions forment un ensemble qui définit la vie sociale, alliage entre sacré et profane Â» comme le livre Estelle Bayon dans Le Cinéma obscène. Ce cinéma n'est pas uniquement une provocation, c'est une manière de voir avec son corps de trouver un différent langage permettant d'aboutir à une certaine catharsis. La cruauté des hommes est démontrée par ces tortures que subies l'orpheline, un exutoire contre leur propre animalité et un défouloir de nos atrocités.
   Lors d'un final détonnant, où des rires cruels clos le tragique destin de Midori, l'image peu à peu se vide pour en revenir à son caractère originel. Une manière de questionner le spectateur sur sa perception de la beauté sexuée. « La beauté sera convulsive ou ne sera pas Â» André Breton.

 

Lundi 17 février 2014 à 20h30  

                                                        

Synopsis

 

Dans les années 50, Midori, 12 ans et orpheline est recueillie par un cirque ambulant peuplé de monstres de foires. Abusée et réduite en esclavage, Midori est soumise aux caprices les plus tordus de la petite troupe de cirque, jusqu’au jour où Wonder Masantinu, un nain hypnotiseur, tombe amoureux d’elle et prend la direction du cirque.

Midori se lit comme une histoire d’amour contre nature ou comme un roman d’apprentissage pervers oscillant entre violence et beauté formelle.

 

Pourquoi ce film ? 

 

Midori est un conte érotique grotesque, une immersion dans le corps-horreur et le corps-objet. L’histoire d’une Alice moderno-trash confrontée au profond malaise qu’entraîne la sexualité la plus crue, conjuguée à l’innocence la plus tendre. Entre onirisme, fantasme et catharsis, le film à l’animation minimaliste de Hiroshi Harada nous emporte dans une Å“uvre aux multiples influences : de l’expressionnisme allemand au folklore japonais, du surréalisme aux anciens clichés des freaks du cirque. Un film d’une force aussi attrayante que repoussante.

 

En présence d’Agnès Giard (journaliste, spécialiste de la culture japonaise).

 

Ce film vise-t-il un certain type de public par ses références ou est-il accessible au plus grand nombre ?

Le dessin animé commence dans les ruelles noires d'une ville encore privée d'électricité : Midori, née sous une mauvaise étoile, est obligée de vendre des fleurs sous un pont de chemin de fer. Le début du dessin animé s'inscrit dans la lignée des contes cruels et pervers d'Andersen – la petite fille aux allumettes se profile derrière l'image de cette innocente qui se retrouve brutalement orpheline. Cette histoire d'enfant-victime tire sa substance de multiples clins d'oeil aux romans gothiques, au cinéma de Fellini, au film Freaks, aux photos de Lewis Carroll, autant qu'à tous ces récits populaires datant des années 30.

 

Durant vos travaux, avez-vous rencontré d’autres Å“uvres japonaises du même acabit que Midori ?
 

Le mouvement « Angura » au Japon, fait des « freaks » un sujet de prédilection. 1970, Tokyo se modernise : c'est pour cette raison que l'univers triste, nostalgique, des fêtes foraines attirent tant de créateurs. C’est un univers parallèle, marqué par traditions et légendes riches en images. La séquence de Midori qui montre les personnages éclaté d'un rire énorme, est empruntée à une pièce de Terayama : une création, consacrée à Fellini, reprenant les images de femmes échevelées, prises de rires cathartiques dans l'ivresse de la fête. Midori, de la même manière, sert d'exutoire à la violence de l'imaginaire japonais.

 

- Propos recueillis par Pierre Blin, Fiona Bellime, Jordan Herranz, Johanna Saget, Flavie Villeneuve -

 

 

Séance 7 : SANG CIBLE

Film : Mauvais Sang, Leos Carax, France, 1986, 116 mn

 

Equipe organisatrice : Adrien Courtial, Paul Landry, Loic Verbrugghe, Prescilia Vieira-Coelha, Youcef Zaraa

Bande annonce.

 

Le film permet au réalisateur de rendre hommage à ses maîtres. De la Nouvelle Vague au film de gangsters en passant par le film noir et le burlesque, Mauvais Sang couvre tout un héritage cinématographique en créant un genre à part entière.

   La mise en scène des corps dans Mauvais Sang n’est pas sans rappeler le cinéma de Godard. Le personnage d’Anna, interprété par Juliette Binoche dans le film de Leos Carax, semble d’ailleurs être directement inspirée d’Anna Karina, actrice fétiche de Godard. A l’instar des films de ce dernier, les corps sont filmés de dos en cachant une partie du champ, ce qui laisse libre court à l’imagination du spectateur et rompt avec l’une des principales règles du théâtre. Comme le metteur en scène avec ses comédiens, le réalisateur manipule ses acteurs à travers ses plans comme des marionnettes. L’exemple le plus représentatif reste le moment où Alex titube dans la rue à côté d’un jeune garçon qui s’avère être une représentation de son enfance. Ce faisant, le mouvement des corps choisit et mit en scène par le cinéaste permet la représentation des ressentis des personnages : lorsque Alex propose à Anna de laisser aller ses sentiments sur un morceau de musique, Modern Love de David Bowie, le travelling accompagnant sa course résultant d’un mal de ventre métaphorise la maladie qui le ronge. On assiste des lors à la seule représentation physique de la maladie. Le morceau de Bowie permet au long métrage de Leos Carax de moderniser les genres tout en se démarquant.

   La musique est un élément à part entière, ce qui permet notamment à Carax de faire appel à d’autres genres cinématographiques. En effet, la présence de Serge Reggiani, en tant qu’acteur dans ce film convoque l’univers cinématographique du film noir, car ce dernier est compositeur de musique principalement utilisé dans ce genre. L’univers musical est aussi en total accord avec les personnages, leurs ressentis et leurs mouvements corporels.

  Le traitement de la lumière qui est douce mais froide, réitère encore la volonté du film de s’inspirer de l’esthétique du genre évoqué précédemment avec pour exemple, l’utilisation récurrente du clair-obscur, une ambiance propre au film noir, représentée aussi par le personnage de l’Américaine, apportant sa dose de mystère et de polar au film de Carax. L’utilisation des couleurs représente deux choses bien distinctes, le sang et la mort via deux couleurs qui sont le rouge et le bleu. L’ambiance très froide dans laquelle on plonge le film, nous laisse en équilibre entre la vie, l’espoir que suscite l’amour d’Alex pour Anna et la mort qui plane autour des protagonistes, que ce soit l’Américaine, la maladie ou les comètes au-dessus de leurs têtes. Que ce soit saut en parachute, course de moto ou danse déséquilibrée, on risque de chuter à tout moment avec les personnages. 

 

Lundi 24 mars 2014 à 20h30

 

Synopsis

 

Mauvais Sang second film de Leos Carax se déroule dans une société rongée par la maladie meurtrière STBO qui se propage surtout chez les jeunes qui font l’amour sans aucun sentiment. Alex (Denis Lavant), Hans (Hans Meyer), Marc (Michel Piccoli) et Anna (Juliette Binoche) s’emparent d’une souche de ce virus destructeur pour le compte d’une mystérieuse Américaine dont ils sont les débiteurs.

 

Pourquoi ce film ? 

 

Véritable OFNI (Objet Filmique Non Identifié), ce film est l’un des premiers à avoir traité le thème du Sida de manière détournée sur fond d’histoire de gangsters.

Avec Mauvais Sang, Carax réinvente les codes narratifs et graphiques du cinéma d’auteur. On y retrouve l’essence du cinéma à travers une évocation du film noir et un hommage aux films burlesques muets ainsi qu’à la Nouvelle Vague.

 

En présence de représentants de l’association Aides.

 

 

Séance 8 : EN CORPS ET ENCORE

Film : Dans la peau de John Malkovich, Spike Jonze, États-Unis, 1999, 112 mn

 

Equipe organisatrice : Anthony Hiernaux, Pierre Lacoste, Johan Légier, Mona Ligot, Flore Santiago

Bande annonce.

 

Le corps, comme prison ou comme vecteur de gloire est au centre de Dans la peau de John Malkovich (Spike Jonze, 1999). Une mise en abîme s’opère sous nos yeux, car si le film parle du corps et de l’identité, il parle aussi du cinéma. En possédant le célèbre acteur John Malkovich, Craig (John Cuzack) possède ce qu’il y a de plus important dans le domaine du spectacle : l’apparence.

   Au début du film, Craig effectue son numéro de marionnettes dans la rue, sous le regard indifférent, voire outré des passants. Il est filmé en plan rapproché. Au contraire, le plan d’ensemble utilisé lorsqu’il effectue ce même spectacle en tant que John Malkovich le noie dans la masse de la foule. Il perd toute l'individualité que soulignait le plan rapproché lorsqu'il était identifiable, car anonyme.

   La critique de la société se faufile alors : on ne critique par l’art en lui-même, mais la personne qui le pratique. Spike Jonze met donc en scène une satire de ce milieu, où les personnes voient en la célébrité une fin en soi ; le seul moyen qu'ils ont pour trouver l'excitation qui leur manque. Une excitation traduite par l’acte sexuel, la plupart du temps filmé en vue subjective pour épouser la notion de voyeurisme (aujourd'hui au centre des production audio-visuelles avec la télé-réalité), qui permet aux protagonistes de s’affirmer tels qu’ils sont. Et cette relation sexuelle inédite (Craig peut coucher avec la collègue qu’il convoite uniquement lorsqu’il habite Malkovich) pousse les personnages à se réinventer, et se poser des questions sur leur propre identité. Le désir du changement trouve donc logiquement sa place, incarné par le personnage de Lotte, l'épouse de Craig (Cameron Diaz), qui prend les traits d'une femme souhaitant affirmer sa transsexualité suite à ce petit « voyage ».

   Le scénario évolue alors, ponctué par des revirements et des idées saugrenues (dont celle où Malkovich entre dans son propre corps, filmé avec énergie pour appuyer l’incompréhension et le désarroi) pour finalement aboutir à une relecture décalée de la fontaine de jouvence, où le corps de l’acteur serait une pierre philosophale des temps modernes, permettant de gagner quelques années de vie. Une quête désespérée se dresse ainsi, quand une bonne dizaine de personnes affirme leur volonté d’intégrer/incarner John Malkovich.

   A travers le prisme du cinéma fantastique, Spike Jonze présente donc une critique assez virulente des mondes du spectacle, monde où l'image règne en maître et où le corps tient une place primordiale. John Malkovich, au cÅ“ur de toutes les convoitises, est le passage rêvé vers ce monde de paillettes et de photographes. Les personnages n'ont donc plus que cette seule idée en tête et se lancent dans cette quête folle et loufoque : « Being John Malkovich Â» !

 

Lundi 7 avril 2014 à 20h30

 

Synopsis

 

Craig, un marionnettiste de rue ne pouvant plus vivre de sa passion, trouve un emploi dans la société Lester grâce à l’habilité de ses doigts. Il travaille dans une moitié d’étage ou il doit classer des dossiers toute la journée le dos plié en deux. Alors qu’il range des papiers, il découvre une porte dissimulée derrière un meuble. Lorsqu'il l'a franchit, il se retrouve dans la peau de l'acteur John Malkovich...

 

Pourquoi ce film ?

 

Et si le corps dans lequel vous viviez ne vous convenait pas ? Et si votre vie n'était qu'une succession de frustrations ? Quel serait le remède ? S'enfuir dans la tête du célèbre John Malkovich évidemment ! C'est l'expérience que connaîtra une série de personnages loufoques et pathétiques, pantins d'un scénario excentrique et drôle, qui trouve le ton juste. Ce petit bijou de fantastique traite des questions identitaires avec brio et propose de nouvelles possibilités d'existence pour les protagonistes blasés. Le spectateur, mis en position de voyeur, ne peut que rire devant cette avalanche de surprises que met en avant ce film rare et précieux.

 

En présence de Roger Fabry (acteur et metteur en scène).

 

Pensez-vous qu'il y a une dimension « schizophrénique » dans le métier d'acteur ?

 

Dieu merci, je ne pense pas qu'il y ait une dimension "schizophrénique" dans le métier d'acteur. Il n’y a pas dédoublement de la personnalité de l’acteur. L’acteur entre dans la peau de son personnage certes, mais il reste lui-même et doit savoir en sortir. Je crois que c’est Simone Signoret qui disait : le comédien n’entre pas dans la peau du personnage, c’est le personnage qui doit entrer dans la peau du comédien. Le comédien doit rester maître de son personnage.

 

Selon votre expérience, le travail des comédiens (théâtre) est-il différent de celui des acteurs (cinéma) ?

 

On ne naît pas comédien, on le devient à force de travail et d'expérience. On peut naître acteur. Il suffit de voir tous les acteurs qui ont "percé" et se sont faits un nom sur un seul film. Guitry disait : "Au cinéma on a joué... Au théâtre on joue". Le comédien (même amateur) se remet en question à chaque représentation. Au cinéma, on apprend le texte de la séquence que l'on refait autant que de fois que nécessaire pour conserver la meilleure prise. Au théâtre on est seul en scène devant le public dont on attend la réaction. Le public dicte le jeu du comédien.

 

Dans la peau de John Malkovich montre les difficultés de se faire un nom dans le milieu théâtral. Ces difficultés sont-elles toujours d'actualité aujourd'hui, 15 ans après la sortie du film ?

 

Je pense qu'il est difficile de se faire un nom dans le milieu du théâtre. Combien d'excellents comédiens vivent dans l'anonymat… 

 

- Propos recueillis par Anthony Hiernaux, Pierre Lacoste, Johan Légier, Mona Ligot, Flore Santiago -

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