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ÉDITO

 

 

   Conçue et mise en œuvre par 36 étudiants de Licence 3 Cinéma, cette cinquième saison de Ciné Campus est consacrée au thème du NOIR. La programmation porte sur la « psychologie » d'une couleur symbolique qui renvoie aux ténèbres et au néant. Mais le noir ne fait pas seulement l'objet de déclinaisons macabres, il véhicule aussi un sens certain de l'humour et se prête au rire. Ainsi la palette du noir prendra-t-elle différentes teintes au travers d'un cycle de sept séances.

 

De la blaxploitation au film noir en passant par le film d'horreur ou la comédie, Ciné Campus vous invite à explorer un « cinéma noir » et les genres qui lui sont associés. Bruno Dumont ouvrira le bal sans façons avec la version cinéma de sa série télé P'tit Quinquin (2014). Nous vous proposons ensuite de savourer un hommage explosif rendu à la communauté afro-américaine par Scott Sanders dans son film Black Dynamite (2010). Puis la nuit sera blanche dans Nous avons gagné ce soir (The Set-Up, 1942), un film de boxe « en temps réel » signé Robert Wise. Et de poursuivre avec le seul film d'animation de la programmation, Les Noces funèbres (Corpse Bride, 2005) de Tim Burton et Michael Johnson, lequel vous plongera dans un monde des morts plus vif que les vivants. Le duo Gustave Kervern et Benoît Delépine prolongera la fable mais en s'attachant au combat de Louise-Michel (2008) avec un humour irrévérencieux. Tandis que David Cronenberg vous conduira élégamment vers l'extase d'une horreur lyrique dans Faux-semblants (Dead Ringer, 1988). Enfin, pour clore ce cycle dédié au noir, les étudiants vous mettront concrètement en situation d'invisibilité avec la projection en audio-description d'À nos amours (1983) de Maurice Pialat.

 

Nous vous espérons nombreux au cinéma Utopia pour cette plongée haute en couleurs dans le noir cinématographique !

 

Julie Savelli

Maître de conférences en Études cinématographiques

Université Paul-Valéry Montpellier

Séance 1 : Noir comme neige

P'tit Quinquin, Bruno Dumont, 2014, 204', (France).

 

La séance aura lieu le mardi 18 novembre à 19h00 et sera présentée par Maryline Alligier, auteure de Bruno Dumont. L'animalité et la grâce, un ouvrage paru aux éditions Rouge Profond en 2012. 

 

Synopsis :

 

C'est l'histoire d'une vache. Une vache retrouvée morte. Dans son ventre, une femme démembrée. Un crime atroce que la police locale va alors tenter de résoudre. Des paysans consanguins aux gamins impertinents en passant par le curé éméché au vin de messe, tout le monde au village semble assez tordu pour en être à l'origine. P'tit Quinquin, flanqué de ses deux amis et d’Ève, son grand amour, va tenter de se faire une place dans toute cette affaire, au risque d'y laisser quelques plumes...

 

Pourquoi ce film ?

 

« C'est la bête humaine ! C'est du Zola ! »

 

P'tit Quinquin, c'est l'histoire des habitants ostracisés d'un village tout aussi ostracisé. C'est la métaphore par l'absurde d'un pays pris dans une logique vicieuse visant à détruire toute différence, mais aussi et paradoxalement, qui vient effacer tout visage d'autorité et de structure familiale, nécessaires au bon développement d'un homme. Tout le monde appartient à son propre univers, feignant de comprendre l'autre dans le seul but d'avoir, au moins, la sensation d'être aimé. P'tit Quinquin, c'est un lot gagnant de gueules burinées, de rustres alcooliques, de paysans très probablement consanguins, de sales gosses toujours prêts à instiller un brin d'anarchie, de vaches, de bunkers et d'immenses paysages désespérément vides. Bref, pléthore de personnages drôles et attachants, de situations burlesques et surréalistes mais aussi de dialogues improbables...

 

Entretien avec Maryline Alligier, à propos deP'tit Quinquin de Bruno Dumont.

 

Maryline Alligier est enseignante en cinéma au lycée Paul Cézanne à Aix-en-Provence et chargée de cours en licence et en master recherche en cinéma à l'Université d'Aix Marseille. 

Doctorante, son sujet de thèse est "La musicalité comme puissance de dévoilement dans le cinéma de Robert Bresson". Elle travaille essentiellement sur la question du corps au cinéma (Bresson, Pasolini, Pialat, Dumont). En 2012, elle a publié aux éditions Rouge Profond le livre Bruno Dumont, l'animalité et la grâce.

 

1: Pourquoi Bruno Dumont ?

Bruno Dunont est un cinéaste exigeant, radical et qui éveille le spectateur. Son cinéma nous dé-familiarise de la représentation conventionnelle pour rendre sensible le mystère de la présence des êtres, et surtout des corps. Le cinéma de Dumont me plaît car c'est un cinéma sensoriel et en même temps mystique. Le corps est son matériau, un matériau brut, le langage adamique de la réalité, une réalité non pas telle qu'on la voit mais telle qu'on la sent.

 

2: Quel film de ce réalisateur avez-vous préféré ?

L'humanité est le film qui va le plus à l'os... par ses images crues, Dumont est à ce commencement du regard. Son personnage, Pharaon est à la fois cet homme originaire, qui se tient au monde par les sens, et ce premier homme qui est animé de pulsions de grâce, qui nous plonge dans une expérience immédiate de présence au monde... un monde âpre, sauvage mais aussi lumineux...

 

3: En temps qu'enseignante en histoire et en cinéma, vous êtes-vous intéressée à d'autres réalisateurs ?

Pasolini est un cinéaste avec lequel j'ai aussi une véritable affinité, lui qui voulait par le cinéma « rendre le monde à son innocence de poème »... j'y retrouve l'inquiétude fondatrice du cinéma pour moi, celle de l'origine et donc du corps... Il y a aussi Pialat et Bresson, plus récemment Xavier Dolan : cinéastes du corps et du seuil.

 

4. Avez-vous hâte de venir présenter P'tit Quinquin au cinéma Utopia mardi 18 Novembre ? 

Tous les films de Dumont circulent dans P'tit Quinquin, révélant un geste d'humanité, celui de l’auto-dérision de Dumont puisque c'est une série burlesque. Mais aussi d'une réflexivité toujours à l’œuvre. Série déjantée, pionnière, elle ouvre une voie nouvelle, réinventant l'expressivité subversive de personnages et faisant voler en éclat par son désordre, ses excès, « son enflure » toute représentation où s'origine pourtant la même inquiétude sur le mal..

 

- Séance dirigée par Ludwig OBLIN, Romane PAIN, Baptiste TEYSSENDIER DE LA SERVE, Laura SAUVANIAC, Gaelle VEYSSIERE -

 

 

 

Séance 2 : Avoir la main noire

Black Dynamite, Scott Sanders, 2009, 84' (Etats-Unis)

 

 

La séance aura lieu le mardi 2 décembre à 20h30 et sera présentée par Claudine Raynaud Coudrin, professeur au Département d'études anglophones de l'Université Paul-Valéry, laquelle a dirigé des travaux dans le domaine des études noires américaines.

 

Synopsis :

 

Maître de kung-fu, proxenette à ses heures perdues, agent pour la CIA et vétéran du Vietnam, Black Dynamite est une véritable légende vivante. Mais lorsque son frère Jimmy est mystérieusement assassiné, c’est la ville de Los Angeles toute entière qui va être retournée, jusqu’à ce que justice soit faite. Trafic de drogues, orphelins menacés, romance et conspiration nationale sont les ingrédients de cette comédie rocambolesque qui rend hommage à la Blaxploitation.

 

Pourquoi ce film ?

 

Black Dynamite est un film hors norme de par son esthétique entièrement empruntée à la Blaxplotation des années 1970 : un hommage au genre pour les initiés mais aussi une formidable porte d’entrée pour les néophytes. Black Dynamite se démarque toutefois de la Blaxploitation dont les films étaient souvent limités économiquement parlant. En effet, réalisé en 2010, soit une quarantaine d’années après la naissance du genre, Black Dynamite bénéficie d'un budget confortable et s'inscrit dans un contexte socio-politique tout à fait différent. Au-delà de son intertextualité, ce film est tout simplement une comédie unique avec un fil narratif extravagant traité au second degré mêlant action, investigation et parodies dans un délicieux fouillis. Ajoutez à cela une bande son qui emprunte ses aspirations au jazz, à la soul et au funk, et vous obtiendrez la recette de l’objet audiovisuel non identifié qu’est Black Dynamite. Le réalisateur Scott Sanders a bel et bien ici « la main noire » en matière de cinéma et de musique afro-américaine.

 

Entretien avec Claudine Raynaud, à propos deBlack Dynamite de Scott Sanders.
 
Claudine Raynaud est Professeur d’études américaines à l’Université Paul-Valéry Montpellier. Elle a enseigné en Angleterre (Universités de Birmingham et de Liverpool) et aux États-Unis (The University of Michigan, Northwestern University et Oberlin College). Chercheur au Du Bois Institute (Harvard, automne 2005), elle a dirigé la Jeune Équipe « Etudes Afro-américaines » créée en 2004 à l’Université François-Rabelais de Tours et travaille actuellement au sein de l’équipe « Genèse et Autobiographie » (ITEM /CNRS) qu’elle a codirigée (1994-1996). Elle est l’auteur de nombreux articles sur l’autobiographie noire (récits d’esclaves, Langston Hugues, James Baldwin, Joséphine Baker) et est spécialiste de Toni Morrison et de Zora Neale Hurston. Son objet de recherche est l’écriture de soi et le croisement de la différence sexuelle et de la différence « raciale ». Elle dirige des travaux dans le domaine des études noires américaines et des Women’s Studies. Elle a publié, entre autres, Toni Morrison : L’esthétique de la survie (Belin,1996).
 
1)L'apparition du phénomène Blaxploitation remonte au début des années 1970, comment expliquez-vous qu'avant cette date la communauté noire américaine soit cantonnée à des rôles caricaturaux ?

 

Manthia Diawara (Black American Cinema, 1993) dit que The Birth of a Nation (1915) de D. W. Griffith constitue une « grammaire » pour la représentation des Noirs à Hollywood. Ils seront toujours à la périphérie, dans la cuisine, à l’office, dans des rôles secondaires, souvent de malfrats ou de criminels. En cela, le cinéma duplique la représentation du Noir dans la littérature, au théâtre, dans les arts graphiques, et dans la culture populaire. Il faut aller vers la représentation des Noirs par eux-mêmes pour trouver une résistance aux stéréotypes racistes. Hollywood (le cinéma commercial) constitue une force majeure dans la reproduction de la culture américaine, dans la perpétuation d’une certaine idéologie. Il faut faire de l’argent et le public est celui de l’Amérique toute entière. Même lorsque les réalisateurs sont noirs, les producteurs sont la plupart du temps blancs. On doit se tourner vers le cinéma noir indépendant pour qu’émerge une représentation différente de la communauté noire, mais cela se fait peu à peu. On cite Oscar Micheaux (Body and Soul, 1924) or ses héros sont riches et presque blancs et sa carrière incarne la limite de l’autoproduction.  Spencer Williams (1925-46) fait des films sur le Sud rural et joue sur l’attrait du Gospel (The Blood of Jesus, 1941). Il ne faut pas oublier que les Etats-Unis sont ségrégés jusqu’en 1954 (Brown vs Board of Education, Topeka, Kansas), et que la population noire est d’abord rurale avant de se déplacer vers les ghettos du Nord (années 20, puis années 40). C’est ce public des quartiers urbains et leurs salles obscures qui constituera la cible des films de la Blaxploitation.

 

2) Quelle est la place de la Blaxploitation dans la lutte contre la ségrégation et pour les droits civiques ?

 

On cite d’abord les « race movies » (1910-1940), puis les films qui traitaient du problème racial (« problem movies ») (40-50) pour retracer l’évolution du traitement de la question noire dans le cinéma américain commercial. Dès la fin des années 60 avec les films de Sidney Poitier (Devine qui vient diner ce soir ? 1967, They Call me Mr. Tibbs, 1970), le cinéma se met à l’écoute de l’Amérique et des revendications minoritaires. Les lois sur les droits civiques de 1964, ainsi que la présence accrue d’acteurs noirs (Dorothy Dandridge, Ethel Waters) dans les productions hollywoodiennes, souvent couplés à des acteurs blancs (cf. The Defiant Ones, 1958), changent la donne. Les films de la Blaxploitation entrent en écho avec la fin du mouvement des droits civiques (assassinats de Malcolm X [1965] et de Martin Luther King [1968]), et la radicalisation du mouvement (le nationalisme noir des Panthères noires). Ainsi 27 membres des Black Panthers furent-ils assassinés entre 1968 et 1976 après la mise en place de l’opération COINTELPRO (FBI). Le film de Van Peebles Sweet Sweetback devait être visionné par les militants. Ce sous-genre repose sur la réalité d’un public ségrégé et comme dans Superfly (1972) il décrit un milieu de façon authentique.

 

3) Que reste-il de ce mouvement si particulier aujourd'hui ?

 

De ce mouvement, il reste certains films comme Sweet Sweetback’s Baadassss Song de Melvin Van Peebles (1971), Shaft (1971) de Gordon Parks (suivi de Shaft’s Big Score, 1972) qui, de fait, ne sont pas vraiment classés dans le genre, ainsi qu’une fascination pour ces films de série B destinés à un public noir américain. La parodie I'm Gonna Git You Sucka (1989) fut un des signes de ce retour vers la Blaxploitation, tout comme la présence de Pam Grier et Jim Brown, acteurs de la Blaxploitation dans Mars Attacks! (1997), et surtout le film Jackie Brown (1997) avec Pam Grier. L’époque actuelle, notamment avec Quentin Tarantino et son esthétique particulière, rend hommage à ce genre et s’en nourrit. L’esthétique postmoderne se caractérise par un échange et une contamination réciproque entre culture d’élite (« high ») et culture de masse  (« low »).

 

4) Quels sont les thèmes traités dans Black Dynamite de Scott Sanders ?

 

Je dirais que ce ne sont pas tant les thèmes qui importent car ces thèmes sont les topoi des films de la Blaxploitation (exploitation du ghetto par les Blancs, corruption généralisée, drogue dans les banlieues, guerre des gangs, mythe du Noir hypersexué, violence avec les armes à feu, références au contexte politique, scènes de sexe, maquereaux et prostituées, bagarres musclées, courses poursuites) que leur traitement par un effet de « citation » et de recyclage. C’est donc l’écart et le retour sur le modèle (réflexivité) qui comptent, plus que le contenu thématique. Ce qui est accompli dans ce film, c’est l’effet de redite et d’accumulation de lieux communs, la multiplication des références. S’il y a fidélité, c’est celle qui consiste à produire un film de « mauvaise qualité » comme l’étaient ceux de la Blaxploitation -- plan où l’on peut apercevoir le micro de prise de son, acteurs récitant leurs textes avec les didascalies, images de courses de voiture reprises in-extenso, dialogues excessivement plats et ridicules -- pour coller à cette esthétique bon marché auquel le film rend hommage. Il s’agit de pastiche plutôt que de parodie dans un parti pris postmoderne (cf. la distinction de Gérard Genette).

Les critiques actuels reviennent sur une analyse des films de la Blaxploitation qui, dans un premier temps, ont été décrits comme donnant à un public noir des films de divertissement sans véritable portée politique et sans souci esthétique (petits budgets, mauvaise facture, sous-genres). La critique récente met en avant le rôle des acteurs noirs, des réalisateurs noirs (cf. Van Peebles, Gordon Parks, Sr. et Jr.) dans le phénomène. Une analyse de l’impact des héros noirs -- ou même des monstres noirs -- sur le public noir permet de parler de recentrage sur les personnages, de fierté raciale, de culture noire placée au devant de la scène.

Le grotesque outrancier donne l’occasion d’un règlement de compte avec le pouvoir blanc (« The Man »), ici symbolisé par Richard Nixon (effectivement surnommé Tricky Dick en 1950), le scandale du Watergate, la guerre du Vietnam. Outre le thème de l’hyper-masculinité du Noir et donc du complexe d’ « infériorité » du blanc au cœur de l’intrigue majeure, l’autodérision est la marque de cette production. C’est la culture américaine du « badass » ou du « buck », male américain « cool » (ou « super fly ») qui combat, triomphe et tombe les femmes. Dans ce film, il est noir. La liste  des stéréotypes est infinie (cf. Hollywood Shuffle, 1987).

L’intermédialité (bande dessinée, film, insertions d’images d’autres films tel Missing in Action, chanteurs noirs convoqués comme Little Richard), le mélange des genres (kung fu, film de gangster, film d’espionnage, etc.), les ressorts de la culture populaire (publicité, bande sonore appuyée, parler noir [« jive », utilisation du mot « nigger »]) contribuent à une sur-saturation, une esthétique de l’excès, voire de l’outrance. On est dans le kitsch, la satire et le carnavalesque.

 

Voir le film Dolomite (1975) de cette époque dont l’affiche est reprise dans la scène finale du film.

 

- Séance dirigée par Alexandre BOUVET, Antoine FOURNIER, Nicolas HERINCX, Clement PETIT, Ugo SAMIEZ -

 

 

 

Séance 3 : Nuit blanche 

Nous avons gagné ce soir (The Set-Up), Robert Wise, 1949, 72'. (Etats-Unis).

 

 

La séance aura lieu le mardi 3 février à 20h30 et sera présentée par Charles Robin. Enseignant en philosophie à l'Université Paul-Valéry Montpellier, il pratique la boxe anglaise depuis plusieurs années. 

 

Synopsis :

 

Bill 'Stroker' Thompson est un boxeur raté de seconde catégorie enchaînant les défaites. Il dispute ce qui semble, fatalement, être son dernier combat. À son insu, son manager a été acheté par le mafieux local, qui ordonne à Stroker de perdre le match et de se coucher au 2ème round. Mais, ce soir, il décide de remporter son match, face à tout ce qui semble l'en empêcher. 

 

Pourquoi ce film ?

 

Nous avons gagné ce soir illustre à merveille le thème de notre séance qui est celui de la « Nuit blanche ». En effet, le film se déroule de nuit et en temps réel. Deux plans d'une même horloge au début et à la fin du film témoignent respectivement du temps qui a passé de 21h05 à 22h17.

Cette diégèse nocturne participe aussi du genre du film noir auquel Nous avons gagné ce soir se rattache. Ce film de boxe est traversé par une opposition entre espoir et fatalisme, incarnée par le personnage de Stroker qui croit à sa réussite malgré l'univers corrompu qui s'oppose à lui.

Nous avons gagné ce soir est par ailleurs très réaliste dans sa manière de traiter les scènes de combat. Robert Wise fait ici une peinture sociale des classes populaires et du rêve américain dans une démarche  quasi documentaire.

 

Entretien avec Charles Robin.

 

Charles Robin, né en 1986, est titulaire d'un master en philosophie et enseigne à l'Université Paul-Valéry de Montpellier. Président fondateur de l'association CRITICS (Centre de recherches interdisciplinaires pour la transmission des idées critiques en sciences sociales), il travaille actuellement à la création d'une école populaire autonome à Béziers. Il est l'auteur de La Gauche du Capital (Krisis, 2014), et pratique la boxe anglaise depuis plusieurs années. 

 

Présentez vous en cinq mots-clés.

 

Enseignant en philosophie (je le suis),

Philosophe (je ne voudrais pas l'être !),

Passionné (on trouve que je le suis),

Peuple (j'ai bien peur d'en être),

Idéaliste (comme Platon, finalement...).

 

Quel est votre rapport à la boxe ? Pourquoi ce sport ?

 

J'ai grandi dans un quartier populaire de Béziers, où le goût de l' « empoigne » et de la « bousculade » fait partie, si j'ose dire, de la culture locale ! Ayant toujours préféré la solitude du combat en duel à la promiscuité intime de la mêlée (sans doute en raison de ma méfiance a priori à l'égard des effets de groupe), je me suis spontanément tourné vers la pratique de la boxe, quand la plupart de mes compatriotes biterrois réservaient leur désir d'affrontement au gazon des terrains de rugby. Il faut dire que, si j'avais plutôt l'image d'un élève studieux et appliqué, je ne ratais jamais une occasion, dès que retentissait la cloche de la récréation, d'aller me mesurer physiquement à certains de mes camarades, tout aussi portés que je pouvais l'être vers le  « langage du corps ». Sans doute faut-il déceler dans cette tendance persistante à la « provocation » l'indice d'un désir (plus ou moins conscient, d'ailleurs) de « respect » et de « reconnaissance » de la part de mes homologues écoliers (puisque l'on sait bien que la « baston » débouche très souvent sur l'estime et la camaraderie), quand les congratulations de mes instituteurs m'apparaissaient, finalement, comme assez peu méritoires.

Au fond, c'est ainsi que je vois la boxe : un cadre d'expression d'une saine rivalité physique, propice aux manifestations de compassion, de sollicitude et de respect (puisque l'on ne peut être qu'admiratif de celui qui encaisse nos coups). Mais je reconnais volontiers qu'il faut sans doute une part considérable de déraison pour préférer ainsi la sueur et les commotions gantées du ring au confort et aux réjouissances des soirées entre amis ou des rendez-vous galants.



Pour vous, la boxe peut-elle refléter un courant philosophique ? Lequel ?

 

Il me semble assez périlleux de vouloir rattacher la boxe à un courant philosophique existant sans tomber aussitôt dans des distorsions conceptuelles et des simplifications discursives abusives – la référence, par exemple, à la « volonté de puissance » nietzschéenne comme substrat philosophique de la lutte physique me paraît ici, par exemple, parfaitement réductrice et inadéquate). Il est indispensable, en revanche, de garder présent à l'esprit que la séparation radicale entre l'activité du « corps » et le travail de l' « esprit » (fondement métaphysique de la distinction moderne entre « manuels » et « intellectuels »), et qui trouve sa source principale dans le fameux dualisme cartésien, n'a pas toujours revêtu l'évidence philosophique qu'on lui prête d'ordinaire. Saviez-vous, par exemple, que Pythagore, célèbre philosophe et mathématicien de l'Antiquité, est connu pour avoir concouru aux Olympiades grecques dans la catégorie sportive du « pugilat », ancêtre de notre actuelle boxe anglaise ? De même, Platon – dont, au passage, le nom signifie « le large d'épaules » – s'illustra dans la pratique du « pancrace » (forme originelle et particulièrement brutale du « combat libre »), qu'il critiqua cependant fortement dans certains textes, du fait qu'elle n'apprenait pas aux athlètes à « rester debout sur leurs pieds ». Autant dire que le mépris philosophique habituellement observé à l'égard de la pratique des sports de combat (et, plus généralement, envers tout ce qui fait intervenir, d'une façon ou d'une autre, la dimension du « corps ») n'a pas toujours fait loi – je vous renvoie ici aux Réflexions sur la douleur de Cicéron. Même si je dois confesser que l'idée de voir un BHL ou un Alain Finkielkraut s'essayer à l'épreuve de la « mise de gants » n'est pas sans entraîner chez moi un certain émoi !


Que pensez vous de la représentation de la boxe au cinéma ? Dans ce film particulièrement ?

 

Pour la plupart des personnes issues de ma génération (je suis né au milieu des années quatre-vingt), le modèle incontournable du boxeur au cinéma reste incontestablement le personnage de Rocky, incarné par l'acteur américain (d'origine italienne) Sylvester Stallone en 1975. Ce natif de Philadelphie, boxeur « raté », attachant et sensible, se voyait ainsi proposer la « chance de sa vie » : un match pour le titre contre le champion du monde des poids lourds, Apollo Creed, boxeur virtuose et exubérant, incarnation caricaturale d'un « sport spectacle » passablement dénoncé dans le film. Loin de se réduire – comme on l'entend parfois – à une apologie naïve du « rêve américain » (puisque l'ambition fondamentale de Rocky n'est pas la « victoire » mais, plus humblement, de « tenir la distance »), ce film met clairement en lumière, selon moi, le lien consubstantiel qui unit sensibilité affective et dépassement physique. Tandis qu'Apollo Creed, sous les traits du self-made-man bourgeois et stratège, inscrit sa démarche sportive dans la froide logique compétitive du « profit » et du « coup d'éclat » médiatique, Rocky, à l'inverse, a tout de l' « homme de la rue », qui vit de petits boulots, traîne un peu dans les bars, fait des mauvaises blagues – et, à l'occasion, tombe amoureux de la vendeuse de la boutique animalière ! Un « homme ordinaire », viscéralement humain – puisqu'il possède, lui aussi, sa part d'ombre – qui puise ses ressources et ses motivations pratiques dans son attachement à certaines valeurs (qu'elles soient profanes ou catholiques) comme autant de moteurs énergétiques de sa transcendance physique.

Cependant, il serait assez malhonnête de ne pas signaler, parallèlement, la contribution extraordinaire que représente ce film (ou, plus exactement, la saga qu'il a engendrée, puisque le sixième et dernier volet, Rocky Balboa, n'est sorti qu'en 2006 !) au processus marketing de « spectacularisation » de la violence – celui qui rend possible, quelques années plus tard, l'éclosion médiatique d'un Arnold Schwarzennegger –, et qui participe à une échelle infiniment supérieure à l'hégémonie idéologique de l'Occident capitaliste qu'à la propagation de l'esprit du « don » et à la promotion des classes populaires. On s'est ainsi trouvé, à partir de ce film, dans la possibilité inédite d'envisager sérieusement – sous l'influence inconsciente, peut-être, du mythe de David et Goliath – qu'il était physiquement possible de « tenir debout sur ses pieds » (pour reprendre les termes de Platon) à l'issue d'une séance de quarante-cinq minutes de pilonnage intensif d'un char d'assaut soviétique (je vous renvoie ici au combat final dans Rocky IV). Une contrepartie idéologique indispensable, qui explique peut-être que ce film ait pu obtenir, à l'époque, l'Oscar du meilleur long-métrage de l'année !

Pour ma part, je crois davantage au réalisme physique d'un The Set-Up, qui, s'il a incontestablement recours, lui-aussi, au procédé – d'origine littéraire – de l' « exagération », a au moins le mérite d'apparaître comme raisonnablement crédible. Soit l'exact contraire de la toute-puissance cinématographique de notre actuelle « science-fiction »...

 

- Séance dirigée par Lou SANCHEZ, Lois DIONISIO, Tina RAINOLDI, Guillaume ARNAL, Lea BEAUGIRAUD. -

 

 

 

Séance 4 : Être fleur noire

Les Noces funèbres (Corpse Bride), Tim Burton et Michael Johnson, 2005, 78', animation fantastique, (États-Unis).

 

 

La séance aura lieu le mardi 3 mars à 20h30 et sera présentée par Maïté Doligez, directrice du festival international du film d'animation de Baillargues (2007-2013).

 

Synopsis :

 

Victor, un jeune homme candide, est contraint par ses parents à épouser Victoria, issue d’une famille noble mais ruinée. Entre les deux promis c’est le coup de foudre mais, victime de sa maladresse, Victor se retrouve malgré lui uni à Emily, une mariée cadavérique. Celle-ci l’entraîne contre son gré chez elle, dans le monde des morts, étonnement bien plus festif et chaleureux que celui des vivants d’où il vient. C'est un triangle amoureux entre la vie et la mort rythmé par l’ambiance contrastée des deux univers.  

 

Pourquoi ce film ?

 

Notre séance s'intitule « Être fleur noire » car avec Les Noces funèbres, Tim Burton met en scène une histoire d’amour dans laquelle la mort vient s’interposer. La relation amoureuse oscille en effet entre les deux univers, bercée par une esthétique cynique qui présente un monde des morts plus vif que celui des vivants.

Il s’agit par ailleurs d’un film d’animation, le seul de la saison 2014-2015, ce qui a confirmé notre choix puisqu’il permet d’aborder notre thème commun « Noir » sous un angle fantastique peut-être moins oppressant. Bien que ce genre soit le plus souvent destiné au jeune public, Tim Burton propose ici une comédie dramatique avec des thèmes forts tels que celui du mariage forcé qu’il traite avec humour et délicatesse dans un film qui s'adresse donc aussi bien aux enfants qu’aux adultes.

 

Entretien avec Maïté Doligez.

 

Maïté Doligez est directrice et administratrice de projets culturels.

Après une formation à L’ARDEC (Association régionale pour le développement des entreprises culturelles) et au conservatoire national des arts et métiers, elle dirige une librairie puis un espace culturel dans un grand magasin.

Passionnée d’animation, elle dirige entre 2007 et 2013 le festival international du film d’animation de Baillargues. Elle travaille également comme chargée de communication pour la compagnie Korzeart. 

 

1- Pourriez-vous nous parler de votre parcours et en particulier des liens qu'il tisse avec le cinéma d'animation ?

 

-Parcours : formation en gestion, libraire spécialisée en cinéma, ensuite direction d’un espace culturel puis coordination du Festival international du Film d’animation de Baillargues de 2007 à 2012. Actuellement chargée de production d’une Compagnie de danse contemporaine.

-Liens avec le cinéma d’animation : Direction d’une librairie spécialisée en cinéma et mise en place d’un fond important d’ouvrages autour de l’animation. Découverte des festivals spécialisés (Baillargues, Wissemboug, Annecy).

-Découverte du cinéma d’animation milieu / fin des années 90

Le cinéma indépendant de Bill Plympton ( L’impitoyable lune de miel)

Réalisateurs : les frères Quay, McLaren, Yan Svankmajer.

 

2- Vous avez dirigé le Festival International du Film d'Animation de Baillargues de 2007 à 2012. Pouvez-vous nous en dire plus sur le festival et les différentes catégories de films d'animation qui y sont programmées ?

 

Le festival de Baillargues est l’un des plus anciens festivals de cinéma d’animation en France. Il a été créé en 1984 afin de montrer au grand public la diversité d’un genre qui fait rayonner toutes les formes cinématographiques dites “image par image”, bien différent du terme générique de dessin animé, trop souvent rattaché à l'époque de sa création aux films de Walt Disney et à une seule catégorie de public : les enfants.

Catégories de films programmés : longs métrages et courts métrages (les sous-catégories : l’animation expérimentale, l’animation dite citoyenne, baby court animation visible par le jeune public à partir de 2 ans).

 

3- Pourriez-vous nous expliquer ce qui vous attire dans le cinéma d'animation ?

 

Le caractère multi-genre de ce cinéma ( trop souvent enfermé dans la catégorie “sous-genre”, face au cinéma de prise de vues réelles). A côté de l’univers des longs-métrages commerciaux et des séries TV, il existe un autre univers dans ce cinéma image par image : celui des courts métrages d’auteurs. L’animation est un moyen d’expression à part, entretenant un lien fort avec les beaux-arts. Le champ des possibles de l’expérimentation en fait un cinéma en perpétuel renouvellement.

 

4- L'univers cinématographique de Tim Burton (et notamment celui de ses films d'animation) est-il un univers qui vous plaît ?

 

Oui, j’ai découvert Tim Burton lors de la publication de son recueil de poèmes La triste fin du petit enfant huître et autres histoires, ensuite sont venus ses films. J’aime sa personnalité artistique, son esthétique et les thématiques développées dans ses films (sa marque de fabrique).

 

5- Avez-vous déjà programmé des films de Tim Burton et plus particulièrement Les Noces funèbres dans le cadre du festival ? Est-ce un film que vous trouvez intéressant ?

 

Oui, toute l’œuvre animée de Tim Burton a été programmée dans le cadre du festival.

C’est un film dans la lignée de The Nightmare Before Christmas sur le plan technique. Les Noces funèbres est intéressant dans l’analyse de l’œuvre du réalisateur, du point de vue de l’inversion des valeurs dans son cinéma.

 

- Séance dirigée par Lucas BAVEREL, Guillaume RIBE, Adria DESALEUX, Loic NOUET, Rémi LAGARDERE. -

 

 

Séance 5 : Rire noir

Louise-Michel, Benoît Delépine et Gustave Kervern, 2008, 90' (France)

 

La séance aura lieu le mardi 17 mars à 20h30 et se fera en présence de la productrice Annie Gonzalez (C-P Productions).

 

Synopsis :

 

Dans un petit village de Picardie, une des dernières entreprises encore implantées dans la région est délocalisée du jour au lendemain, à l’insu de ses employées. Ces dernières se retrouvent sans rien et décident de se venger, toutes réunies autour du même plan :

« buter le patron ». Kervern et Delépine signent une nouvelle collaboration éclatante, où la satire sociale n’épargne personne.  

 

Pourquoi ce film ?

 

Le duo Gustave Kervern et Benoît Delépine, livre avec Louise-Michel un film d’humour noir dans la veine de leurs films précédents, Aaltra réalisé en 2004 et Avida en 2006.

Louise-Michel est une fable totalement irrévérencieuse qui montre le combat du prolétariat contre la « grande machine », c’est à dire le patronat. Ce film empreint d'humanisme aborde des points sensibles, voire tabous, mêlant caricature et réalisme brutal. Ainsi le handicap, la maladie, le travestissement forcé et le meurtre sont ici des thèmes ayant pour but de provoquer le rire du spectateur, bien que la sobriété de leur traitement ne manque pas de provoquer une gêne.

Ainsi cette rencontre entre réalité amère et humour noir permet aux réalisateurs de dénoncer plusieurs sujets de société trop peu souvent traités au cinéma : la délocalisation des entreprises, la question de l’identité ou encore l’analphabétisme des milieux ruraux au XXIe siècle.

 

Entretien avec Annie Gonzalez (extraits d'entretiens préexistants).

 

Annie Gonzalez est productrice. Elle a étudié les lettres, les arts, le cinéma et a fait les Beaux-arts.

C'est avec son film Teresa (1986) que son engouement pour le cinéma s'est multiplié. Afin de travailler le plus efficacement possible, Annie Gonzalez créé son propre outil de travail, « Le Jour / La Nuit Production ». Cela lui permet de produire plusieurs films dont le premier long métrage de Philippe Harel Un été sans histoires en 1992.

C'est à la fin des années 90 qu'elle s'associe à Pierre Carles et à tous ceux qui ont participé au film Pas vu pas pris (1998). Ils créent ensemble « C-P Productions » afin de pourvoir continuer de travailler en autonomie.

Cette société de production est en accord avec ses principes, se battre pour rendre visible au cinéma les réalités peu ou mal connues du public. Elle s'inscrit dans le décalage revendiqué, l'indépendance, le regard critique ainsi que dans le souci de l'humain.

 

  • Pourquoi avez-vous choisi le métier de productrice et comment en êtes-vous arrivée à créer CP productions ?

 

Un jour j’ai eu pas mal d’argent pour un scénario de court-métrage que j’avais écrit très vite, naïvement, avec beaucoup de ferveur et que je voulais réaliser. C’était alors le moment de trouver un producteur, je ne savais pas ce que c’était. Ça s’est fini de façon rocambolesque : il a fallu que j’aille avec des copains baraqués réclamer l’argent détourné par un producteur qui avait encaissé la subvention du CNC sans vouloir me faire le moindre chèque au moment de louer le matériel de tournage. J’ai finalement fait ce film (Teresa, 1986) quelques mois plus tard avec un autre producteur, le film a pas mal marché, il eu des prix et a bien circulé. J’en suis ressortie avec la volonté de créer mon propre outil de travail, j’ai créé Le jour/la nuit productions. Pour avoir un outil souple et fiable. [...] À ce moment j’ai rencontré Pierre Carles qui avait un montage quasi fini de Pas vu pas pris. Il cherchait à faire exister ce film et à le sortir. Je lui ai d’abord suggéré de monter sa propre boîte vu tout ce qu’il avait déjà réussi à faire avec ce film, il a cru que c’était une façon de me défiler (je crois que pas mal de monde s’était défilé déjà). Et puis on s’est dit que ce serait pas mal de monter quelque chose pour faire exister ce film, pour continuer ce travail autonome. Avec tous ceux qui avaient participé au film on a créé C-P productions.

 

  • Vous êtes-vous heurtée à des contraintes ou à des difficultés lors de la production de vos films ?

           

Malgré le succès des films de Pierre Carles au cinéma, les films réalisés en collaboration avec lui rencontrent des difficultés, ils ne sont pas achetés par la télévision. Leurs financements proviennent alors principalement des entrées au cinéma du fond public de soutien au cinéma ainsi que des soutiens institutionnels comme les régions Languedoc-Roussillon et Île-de-France. Ils obtiennent aussi l'aide de certains particuliers.

« Le réseau qui soutient ce travail, le public, les salles et aussi tous ceux qui grâce au résultat de l’exploitation en salles peuvent voir les films après autrement, fait qu’on a aussi une espèce de contrat tacite, comme si quelqu’un vous disait « bon d’accord on veut bien voir encore ce que vous pouvez faire ».

 

  • Pouvez-vous nous parler de votre collaboration avec Pierre Carles ?

 

C-P Productions s’est pensée au départ autour du travail de Pierre Carles, Pas vu pas pris, La sociologie est un sport de combat, Enfin pris ?. Mais C-P, c’est surtout une façon de travailler commune, ouverte, collective, où les habituelles frictions d’ego producteur/trices ou réalisateur/trices n’ont pas lieu d’être, car nous avons vraiment autre chose à faire. [...] Bien sûr, je produis, les réalisateur/trices réalisent. Mais nous réfléchissons aussi ensemble, toutes les idées sont bonnes à étudier et nos compétences individuelles font avancer les projets. Il ne faut pas oublier que la notion d’œuvre collective s’applique au cinéma. 

 

  • Connaissez-vous la filmographie de Gustave Kervern et Benoit Delépine ?

           

Oui j'ai vu tous les films de Delépine et Kervern.

 

  • Quels sont les projets sur lesquels vous travaillez actuellement ?

           

Opération Correa 1er partie : Les ânes ont soif, un film de Pierre Carles avec la collaboration de Nina Faure et Aurore Van Opstal. La première partie de ce feuilleton documentaire est déjà en accès libre sur internet pour inciter les internautes à financer la suite de l’enquête Outre-Atlantique et pouvoir la faire circuler en 2015. Trois ou quatre épisodes devraient voir le jour d’ici l’élection présidentielle française de 2017.

 

ndlr : Annie Gonzalez participe aussi à la production de André et les martiens et Les Bruts, deux documentaires réalisés par Philippe Lespinasse ; Bourdieu, le retour de Pierre Carles et Annie Gonzalez ainsi que Petites Histoires Populaires, un web-documentaire de Christophe Coello.

 

- Séance dirigée par Lucy TISSIER, Alexis COUDRAY, Victor HAMELIN, Morgan MANSON, Esther PRUD'HON. -

 

 

Séance 6 : Noir sang

Faux-semblants (Dead Ringers), David Cronenberg, 1988, 115' (EU, Canada)

 

La séance aura lieu le mardi 31 mars à 20h30 et sera accompagnée par Vincenzo Susca, maître de conférences en sociologie de l’imaginaire à l’Université Paul Valéry.

 

Synopsis :

 

C'est l'histoire de deux « vrais » jumeaux qui, depuis leur plus jeune âge, ont l’habitude de tout  partager, qu'il s'agisse de leur carrière flamboyante, de leur appartement, de leurs apparences ou même des aventures sexuelles. Beverly et Elliot Mantle sont deux gynécologues réputés qui travaillent dans leur propre clinique. Mais dès l’instant où Beverly rencontre Claire, lors d’une simple consultation, tout leur univers bascule. Cet amour tiers va briser à jamais l’équilibre des deux êtres et les conduire à leur perte.

 

Pourquoi ce film ?

 

Faux-semblants provoque une terreur différente, une horreur tactile. L'effroi intellectuel que ce film suscite repose sur l'expérience de la fusion malsaine entre deux corps jumeaux qui n'est pas sans  renvoyer au corps que nous habitons en tant que spectateur. L'ambiguïté imprègne tout ce film comme un poison et laisse une sensation de trouble induite par l’idée que deux corps et deux esprits peuvent ne former qu’une seule âme. C’est dans cet impalpable que la puissance du film se répand, en utilisant la confusion comme moteur. Alternant les pulsions de vie et de mort, Faux-semblants est conduit par des sentiments contraires, versant à la fois dans l’horrifique et le lyrique, dans l'amour fraternel et la haine vengeresse.

David Cronenberg, maître du dédoublement, interroge  ici encore le thème de la chair meurtrie par la pensée, opérant des déplacements qui malmènent nos perceptions habituelles. Le cinéaste cherche à créer des sensations ineffables, sensibles dans chaque plan mais passées sous silence. Un silence de cinéma, un silence d’images et de mouvements.

 

Entretien avec Vincenzo Susca, à propos de Faux Semblants de David Cronenberg.

 

Doctorant en Sciences Sociales, Vincenzo Susca est maître de conférences en sociologie de l’imaginaire à l’Université Paul Valéry de Montpellier et chercheur associé au Ceaq (Sorbonne) et McLuhan Fellow à l’Université de Toronto. 

Directeur éditorial des « Cahiers Européens de l’Imaginaire », revue de Sciences Humaines fondées en 1988, Vincenzo Susca dirige également un séminaire au sein de l’université Paul Valéry depuis maintenant cinq ans, appelé « Longue vie à la Nouvelle Chair », expression empruntée au film Vidéodrome de David Cronenberg. Il a  par ailleurs écrit le livre Joie Tragique, les formes élémentaires de la vie électronnique publié aux éditions CNRS qui traite entre autre de l’imaginaire Cronenbergien. Il a aussi publié A l’ombre de Berlusconi, L’Harmattan, Paris, 2006 ; Nos limites do imaginário, Editora Sulina, Porto Alegre, 2006 ; Transpolitica, Apogeo, Milan, 2008, avec D. de Kerckhove ; Ricreazioni, Bevivino, Milan, 2008, avec C. Bardainne.

 

1- Quel lien faites-vous dans vos recherches – et notamment dans votre séminaire et votre livre « Joie Tragique » - entre sociologie de l’imaginaire et cinéma, et plus précisément celui de David Cronenberg ?

 

Le cinéma représente un prétexte exceptionnel pour interpréter et raconter la vie collective. S’il a été pendant longtemps, selon les mots d’Alberto Abruzzese, « l’art de l’usine », il est ensuite devenu la plateforme expressive de notre imaginaire. Ce, d’autant plus par rapport aux œuvres ayant attiré le regard du grand public, car le lien entre cinéma et société a engendré et matérialisé l’invisible, l’émotionnel et le fantastique qui habite notre inconscient, rendant visible, je dirais « objectif », les phantasmes qui flottent dans l’air du temps.

Le cinéma de David Cronenberg vaut pour moi comme un traité d’anthropologie, de philosophie, d’esthétique et de sociologie de l’imaginaire. Le génie Canadien, issu du laboratoire de Toronto, le même où Marshall McLuhan avait théorisé les extensions techniques de l’homme, le village global et la théorie selon laquelle « The medium is the message », a montré bien le rapport entre humain et machine tant dans sa dimension érotique que dans celle tragique. « Long live the new flesh », « Longue vie à la nouvelle chair », sa phrase-phare, a été pour ma recherche un leitmotiv fondamental et est devenu aussi le titre du séminaire que je dirige à l’Université Paul-Valéry depuis quatre ans, dont le but est de dévoiler les mutations anthropologiques contemporaines par les images cinématographiques. En cela, David Cronenberg a été en quelque sorte le pionnier de la recherche.

 

2- Vous parlez souvent d’«intégration de la mort dans la vie, de la douleur dans la jouissance et de l’ombre dans la lumière », qu’avez-vous à nous en dire concernant Faux Semblants et l’œuvre de Cronenberg ?

 

Ce genre d’esthétique, dans son coté gore, exprime de manière exacerbée une mutation en cours, la mutation en cours dans nos sociétés après l’explosion de la bombe atomique, les camps de concentration et l’alunage. Cronenberg, inspiré, notamment, par Shinya Tsukamoto, Quentin Tarantino et James Graham Ballard, réussit à révéler la soulèvement de la chair induit par le corps à corps entre technique et humain, là où les confins entre ces dimensions sont de moins en moins évidents, en mettant en scène l’inversion fondamentale qui caractérise notre époque : ce n’est plus l’humain qui dirige la technique, mais bien l’inverse, ce n’est plus la vie matérielle le premier plan de nos existences, mais celle médiatique et médiatisée. Nous sommes ainsi en face de notre monstruosité : Cronenberg nous « montre » (étymologie de « monstre ») ce que nous sommes en train de devenir, et ce en anticipant la vie que nous allons bientôt perdre pour que nous renaissions… rien ne nous explique cela mieux que les figures monstrueuses crées par le père de Vidéodrome.

 

3- Qu’auriez-vous à nous dire du traitement du corps dans Faux Semblants ?

 

Dans ce film il est encore une fois question de doubles. Il s’agit d’un croisement entre le biologique et le technique, le soi et l’autre. L’opération requiert une intervention « radicale », et une séparation. J’ai l’impression que l’auteur est attentif à la douleur induite par cette mutation, conscient que l’identité en tant que condition unique, monolithique et identique à soi-même n’est plus en phase avec le vécu contemporain, mais que sa mutation ne peut pas se faire sans une souffrance atroce : le plaisir de la mutation veut alors dire aussi mort de notre vieux corps.

 

- Séance dirigée par Déborah Biton, Clara Boudet, Quentin Jumeaucourt, Pauline Quinonéro et Dominique Tripiana. -

 

 

Séance 7 : Voir la vie en noir

À nos amours, Maurice Pialat, 1983, 102' (France)

 

La séance aura lieu en audiodescription le mardi 14 avril à 20h30. Cette projection singulière qui sollicitera l'oreille, l'esprit et le frémir sera suivie d'une discussion avec Bertrand Verine, enseignant-chercheur, déficient visuel et administrateur de plusieurs associations.

 

Synopsis :

 

Suzanne a 16 ans et elle découvre le sexe. Pourtant amoureuse de Luc, elle refuse ses avances et couche avec de parfaits inconnus. Le père de Suzanne, Roger, quitte la famille. Robert, le grand frère de Suzanne, doit alors s'occuper de leur mère, devenue tout comme lui agressive, ainsi que les sentiments troubles qu'il éprouve pour sa sœur laquelle décide de partir en pension. Déchirée entre son désir de liberté et une famille névrosée, Suzanne épouse Jean-Pierre. Un soir, le père, Roger, réapparaît pendant un repas de famille.

 

Pourquoi ce film ?

 

Pialat se révèle : pour la première fois au cinéma Utopia, À nos amours sera projeté dans le cadre d'une séance en audio-description étendue à toute la salle. Un écran noir et la voix de Sandrine Bonnaire dans son premier grand rôle aux côtés de Pialat, son père dans le film. L'actrice crève l'écran mais comment ressentir les forces contraires qui l'animent dans le noir ? La virtuosité de Pialat peut-elle s'entendre ? Nous vous proposons de faire l'expérience sensible d'À nos amoursd'une manière nouvelle. Que l'on soit voyant, malvoyant ou non-voyant nous entendrons tous la même chose - une adolescence habitée par son propre drame - sans pour autant avoir le même regard, ni éprouver le noir de l'image de la même façon. Il s'agit ici de voir la vie en noir et comme Suzanne, d'en faire la libre expérience.

 

Bertrand Verine

 

Enseignant la linguistique textuelle à l'université Paul-Valéry Montpellier. Il est également administrateur bénévole de plusieurs associations françaises de personnes déficientes visuelles, dont la FAF-LR à Montpellier (Fédération des Aveugles et amblyopes de France Languedoc-Roussillon). Lui-même déficient visuel, il a témoigné de son expérience du toucher dans le film de Benjamin D'Aoust, La nuit qu'on suppose, Magritte 2014 du long-métrage documentaire. Chercheur, il a notamment publié « Dire le non-visuel : approche pluridisciplinaire des perceptions autres que la vue », Liège : Presses Universitaires de Liège (Culture sensibles 2), 2014.

 

- Séance dirigée par Leslie BAURENS, Célia BLOCHE, Camille EGEA, Jonathan PASI, Manon THIERY. - 

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